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ESSAI SUR L’HOMME.

N’avaient point, sur la terre à leur joug asservie,
Déchainé la discorde, et la haine et l’envie ;
Les animaux errants vivaient en liberté ;
Et l’homme, au milieu d’eux, moins craint que respecté,
De leurs libres forêts partageant le domaine,
N’exigeait point encore et leur sang et leur laine.
Leurs mets étaient les siens ; il dormait sous leurs toits :
Tous les êtres vivants, rassemblés dans les bois,
Par un hymne commun louaient leur commun Père.
Les bois étaient leur temple ; un prêtre sanguinaire
Ne souillait point ses mains d’homicides pieux,
Et l’or ne payait point l’indulgence des Dieux.
Les Dieux ne s’annonçaient que par leur bienfaisance ;
L’homme ne prétendait qu’une juste puissance.
Que les temps sont changés ! Aujourd’hui, sans remords,
Tyran des animaux, il s’engraisse de morts ;
Les eaux, les champs, les airs de ses meurtres gémissent ;
Les maux, nés de son luxe, à son tour le punissent ;
Et cette soif de sang qui s’irrite en son sein,
Ô fureur ! contre l’homme arme l’homme assassin !
Ainsi de l’âge d’or s’éloigna l’innocence.

 Avec d’autres besoins un autre âge commence ;
On quitte pour les champs la retraite des bois ;
Les arts, fils du travail, s’empressent à sa voix :
L’instinct à la raison par degrés les révèle,
Et la Nature même en fournit le modèle.
La Nature instruit l’homme, et lui parle en ces mots :

 « Va, cours étudier les mœurs des animaux ;