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ŒUVRES DE FONTANES.

Tel que l’homme frappé de la foudre invisible :
Avant leur mort, au moins, ils vécurent heureux.
Après quelques plaisirs, ne meurs-tu pas comme eux ?

 Sans crainte aux soins du Ciel la brute abandonnée
Ne prévoit point la mort qui lui fut destinée :
Toi seul prévois la tienne ; et, pour te l’adoucir,
Dieu t’en donne à la fois la crainte et le désir.
La mort, voilant ses traits, tous les jours s’achemine ;
Tu la crois éloignée, elle est déjà voisine.
Heureuse illusion ! le Ciel compatissant
N’a soin de l’accorder qu’au seul être pensant.
Ceux que la raison guide ou que l’instinct dirige,
Tous reçoivent le don que leur nature exige ;
Tous cherchent le bonheur, tous peuvent le trouver.

 Ta raison sur l’instinct ne doit point s’élever.
Les animaux, conduits par ce maître facile,
Ont-ils besoin d’un pape ou des lois d’un concile ?
La raison qui t’éclaire, indocile pédant,
Refuse de servir ou ne sert qu’en grondant.
Veut qu’on la sollicite, et fuit quand on l’appelle.
L’instinct court en ami nous servir avec zèle ;
Il nous suit en tout temps, elle craint d’approcher,
L’instinct ne bronche point, la raison peut broncher ;
Et le double pouvoir qui meut et qui compare,
Uni dans l’animal, dans l’homme se sépare.
Entre ces deux pouvoirs, quelle comparaison !
Dieu gouverne l’instinct, et l’homme la raison.