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ESSAI SUR L’HOMME.

Du vice à la vertu l’homme revient sans cesse ;
L’insensé n’a-t-il pas ses moments de sagesse ?
Et quel monstre endurci n’a jamais détourné
Vers la vertu qu’il fuit un regard consterné ?
Quel juste quelquefois ne rougit de lui-même ?
Le bien n’est point parfait, le mal n’est point extrême ;
Nos divers intérêts cherchent des buts divers :
Mais Dieu vers un seul but fait marcher l’univers ;
Lui seul sait corriger nos erreurs, nos caprices,
Sait, en les opposant, balancer tous nos vices ;
Par d’utiles défauts joint la société,
Donne aux filles la honte, aux femmes la fierté,
La crainte au politique, au guerrier l’imprudence,
Aux princes la hauteur, aux peuples l’ignorance ;
Par l’amour de l’éloge il soutient nos vertus ;
Sur nos défauts divers sagement combattus,
Sur nos besoins communms, lui seul élève et fonde
Le repos et la joie, et la gloire du Monde.

 D’immuables rapports nous unissent toujours.
Chacun, sujet ou maître, échangeant ses secours,
Aux intérêts d’autrui par intérêt s’applique ;
La faiblesse de tous fait la force publique.
L’homme imparfait, borné, s’étend autour de lui
La folie et l’orgueil, l’impuissance et l’ennui,
Source de ses plaisirs, dans son âme font naître
L’amour, et l’amitié plus touchante peut-être ;
Et lorsque, pas à pas, amenant le dégoût,
L’âge et la vérité le détrompent de tout,
Il regarde en dédain et rejette sans peine