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ESSAI SUR L’HOMME.

Il nait de la nature, il croit par l’habitude.
Et la raison encor l’irrite avec étude.
Tel le plus doux rayon des soleils de l’été
D’un acide mordant double encor l’âcreté.

 Qu’importe à la Raison ce grand titre de reine ?
Son sceptre est avili, sa puissance incertaine.
Hélas ! quand nous croyons suivre ses volontés,
Trop malheureux sujets, elle nous a quittés,
Et quelque passion, indigne favorite,
La gouverne elle-même et la traine à sa suite.
Quelquefois je lui crie : « Ô Raison ! viens, accours ;
« Laisse-là tes conseils, donne-moi des secours ;
« Un ennemi cruel me couvre de blessures ;
« Prête-moi contre lui tes armes les plus sûres. »
Mais, nonchalante amie, elle arrive trop tard,
Et, quand je suis vaincu, vient me plaindre avec art ;
Ou sur son tribunal, comme un juge implacable,
D’un reproche tardif m’épouvante et m’accable.
Souvent c’est un flatteur, un sophiste pervers,
Qui m’endort dans ma honte et défend mes travers.
Trop fière cependant, elle met à la chaîne
Quelques faibles défauts qu’on peut vaincre sans peine,
Et du plus grand de tous elle accroît le pouvoir.
Tel un vain charlatan, qu’enivre un faux savoir,
Croît guérir des humeurs dont il change la route,
Et m’ôte un mal léger pour me donner la goutte.

 Eh bien ! s’il est trop vrai que le prompt sentiment
Est plus juste et plus sûr que le raisonnement.