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ESSAI SUR L’HOMME.


 L’homme de deux pouvoirs suit la force contraire,
L’amour-propre qui meut, la raison qui modère :
Utiles tous les deux, s’ils remplissent leurs lois,
Nuisibles tous les deux, s’ils confondent leurs droits.

 Bannissez l’amour-propre, et l’âme en léthargie
Perd, dans un froid repos, son active énergie ;
Bannissez la raison, et l’âme ne sait plus
Gouverner de ses vœux le flux et le reflux.
Telle, au bord du marais, la plante solitaire
Naît, croît et multiplie, et pourrit sur la terre ;
Ou tel un météore, en son cours inconstant,
Détruit tout, et lui-même est détruit à l’instant.
L’amour-propre est ardent ; il presse, il sollicite,
Et, sans cesse agité, sans cesse nous agite :
La tranquille raison doute et juge à loisir,
Et, la balance en main, elle hésite à choisir.
Sur les objets présents l’amour-propre s’élance,
Dévore et perd soudain sa prompte jouissance ;
Tandis que la raison, heureuse avec lenteur,
Calcule, assure, attend et prévoit le bonheur.
L’homme veut avec force, et résiste avec peine ;
Si l’aveugle amour-propre au hasard nous entraîne,
Il faut que la raison, nous prêtant son appui,
Toujours veille, attentive à lutter contre lui ;
Elle croît par le temps et par l’expérience ;
Tous deux de l’amour-propre instruisent l’imprudence.

 Intrépides docteurs aux disputes formés,
Qui du tranchant dilemme incessamment armés.