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DISCOURS.

aux prêtres des Dieux un enthousiasme involontaire. C’était, si j’ose m’exprimer ainsi, sur le trépied de Shakspeare que M. Ducis recevait l’inspiration tragique. Là, du fond d’un nuage sombre, il voyait apparaître des figures gigantesques. Il essayait de les réduire à des proportions régulières. Il créait en imitant. La scène de l’urne dans sa tragédie d’Hamlet n’est-elle pas une création absolument originale ? Jamais, depuis Corneille, le dialogue n’eut plus de force et de véhémence. Dans Juliette et Roméo, il associa les couleurs du Dante à celles de Shakspeare. Le poëte anglais et le poëte italien méritaient d’être rapprochés : ils ont plus d’une analogie. Ils ont brillé l’un et l’autre au milieu d’un siècle barbare, et le temps n’a point effacé la profonde impression qu’ils ont dû faire autrefois sur leurs contemporains. L’énergie de tous les deux se retrouve dans le poëte français.

M. Ducis quitta pourtant une fois ces modèles hasardeux, dont l’audace peut élever le génie, mais dont les bizarres conceptions peuvent égarer aussi le goût et le jugement. Il trouva dans Sophocle des beautés aussi mâles et plus soutenues, des beautés de tous les pays et de tous les temps, qui ne parurent point étrangères sur un théâtre illustré par l’auteur de Phèdre et par celui de Mèrope. En passant de Shakspeare à Sophocle, et du ciel de l’Angleterre à celui de la Grèce, la gloire de M. Ducis s’accrut d’un nouvel éclat. Jamais elle n’avait été si pure et moins contestée. Quand il fit paraitre son Œdipe, un grand