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ŒUVRES DE FONTANES.

goût, qui présidait ces assemblées d’élite, était moins aveugle que la fortune, il laissait la prééminence au plus aimable. C’est là qu’au milieu des inégalités naturelles et sociales se trouvait une parfaite égalité, mais sans désordre et sans licence. L’amour-propre lui-même avait caché ses prétentions, et la dispute bruyante n’osait élever sa voix. Une bienveillance mutuelle respirait sur tous les visages, et s’exprimait dans tous les discours. La conversation était tour à tour légère et instructive, jamais trop libre, et jamais pesante. On venait de toutes parts chercher dans cette capitale, comme autrefois dans Athènes, tous les plaisirs de la société. La ressemblance était exacte, car on trouvait surtout dans ces réunions que je regrette, des femmes aimables et éclairées, dignes également de sentir et les grâces d’Alcibiade et la dignité de Platon. Oh ! que les temps sont changés ! Elles ne sont plus ces réunions où chaque heure en fuyant laissait un plaisir, où l’heure du départ arrivait trop vite après la plus longue soirée. S’il est encore quelques lieux où l’on se rassemble, on y va par bienséance, on y reste avec ennui, on en sort avec promptitude. Les femmes sont à part, comme si nous étions restés Gaulois, et si nous n’étions pas devenus Français. Quelques-unes, à la vérité, se mêlent à la conversation ; mais ce n’est plus pour apaiser la haine des partis, c’est pour entretenir des controverses souvent obscures, toujours hasardeuses ; et ne devraient-elles pas bien plutôt se le liciter du bonheur de ne pas les comprendre ?