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DISCOURS.

verait l’art de sa versification dans le traducteur des Géorgiques ; l’âme de Fénelon se reconnaîtrait dans quelques pages de Bernardin de Saint-Pierre. Et qu’on ne croie pas, Messieurs, que la constance et la sévérité des principes arrête l’essor et l’originalité des talents. Les productions successives de l’esprit, durant ce long intervalle, furent variées comme les fruits de chaque saison. Toutes ont aussi leur forme, et leur éclat et leur goût divers ; mais toutes ont heureusement mûri dans la même terre et sous le même soleil.

L’influence de ces principes conservateurs du bon goût n’est pas uniquement renfermée dans la littérature. Elle agit, plus ou moins, sur la nation tout entière ; elle y développe le sentiment de toutes les bienséances : l’esprit des classes les plus cultivées parvient insensiblement jusqu’aux classes inférieures, et donne avec le temps ses modifications particulières aux habitudes générales. C’est à ce goût épuré, n’en doutons pas, que le siècle de Louis XIV a dû tant de gloire ; c’est à lui que la France a dû longtemps tous les charmes de la vie sociale.

Il fut un temps, et notre jeunesse en a vu tout l’éclat, il fut un temps où la société française était le modèle des sociétés polies. Là, dans un même cercle, on voyait se confondre les dignités et les talents. Toute grandeur, dit-on, effarouche un peu la liberté ; mais les distinctions du rang et même celles du génie n’avaient rien d’incommode en ces lieux où l’art de plaire était le premier de tous les titres. On a peint la fortune distribuant les places au hasard et sans choix : le