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DISCOURS

Il est vrai qu’il n’exécuta ce poème qu’après avoir supporté quinze ans tous les emportements de la plus basse jalousie[1] : encore céda-t-il aux sollicitations du docteur Swift, qui compose les notes. Il n’en est pas moins répréhensible. Il s’est trop livré sans doute aux mouvements de sa sensibilité irritée. C’est un nouveau trait de ressemblance que Voltaire eut avec lui. La malignité, qui ne pardonne rien au génie, triomphe quand elle peut saisir des faiblesses dans les objets de l’admiration publique. Eh quoi ! ces hommes, qui ne sont grands que par la perfection de leurs organes, peuvent-ils devenir impassibles, lorsque l’envie leur dispute le repos et la gloire ? On vante, avec raison, le silence philosophique de

  1. Les ennemis de Pope se portèrent aux plus grands excès contre lui. Milady Montagu, dont il avait blessé légèrement l’amour-propre, ne dédaigna pas de les encourager ; elle publia même à cette occasion un libelle odieux : elle y perd tout le charme de son esprit, toutes les grâces de son sexe, toute espèce de bienséance et de jugement ; le plus vil journaliste, dans les feuilles les plus méprisées, n’a jamais vomi des injures plus atroces et plus dégoûtantes. Les femmes, extrêmes en tout, ne mesurent point assez leur vengeance pour la faire pardonner. Un pair d’Angleterre écrivit en même temps à Pope ; il crut lui enlever tout son mérite, en lui reprochant d’être bossu. L’homme de lettres, dans une réponse pleine de finesse et d’enjouement, couvrit le grand seigneur d’un ridicule immortel. Enfin la haine fabriqua le récit d’un flagellation ignominieuse, qu’on prétendait avoir fait subir à Pope. Cette plate facétie, réimprimée trop souvent, amusa quelques jours l’envie et l’oisiveté. Il serait si facile à quelques portefaix vigoureux d’insulter de la même manière César ou Turenne au sortir d’une victoire, que ce fait même, s’il était réel, ne servirait qu’à couvrir de honte les lâches scélérats qui auraient abusé de la faiblesse de Pope, toujours infirme ou valétudinaire.