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DISCOURS

mais celui-ci, dans quelques descriptions, dans quelques morceaux de morale qu’on peut rapprocher de l’auteur moderne, montre une âme plus forte, une imagination plus abondante, une disposition plus naturelle aux mouvements de la haute poésie. Pope est un de ces esprits excellents, qui s’enrichissent de tous les préceptes, de tous les exemples ; qui, aux dons naturels, ajoutent sans cesse les observations de l’étude ; qui savent fortifier cet instinct, guide invisible du talent, par des poétiques réfléchies ; et qui, mesurant leur marche, évitent enfin le mélange monstrueux des beautés et des défauts, caractère du génie brut, abandonné sans règle à lui-même. Lucrèce est un de ces hommes rares, que la nature ne semble avoir fait naître que pour observer et célébrer ses merveilles : on voit que partout où elle aurait déployé à ses yeux de grands spectacles, sans autre modèle qu’elle-même, il aurait chanté malgré lui.

Il ne faut pas quitter Rome sans parler d’Horace. Quoiqu’il n’ait point écrit de poème sur la philosophie, il en a tant répandu dans ses odes et dans ses épitres, qu’on ne peut le passer sous silence. Qui mieux que lui, pour me servir de l’expression pittoresque de Montaigne, sut presser la sentence au pied nombreux de la poésie ? Ceux qui ont paru croire que le goût rendait le talent timide, auraient dû se détromper en lisant les odes d’Horace. La justesse et l’audace se réunissent dans son expression ; et quand l’oreille est remplie de son rhythme harmonieux, l’imagination ébranlée par ses figures hardies, la rai-