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SUR CORNEILLE ET RACINE.

Les mœurs, en gardant leur dignité, devinrent alors moins graves et moins fières : on y mit par degrés plus de décence que de franchise, et plus de noblesse que d’énergie. La grandeur fut obligée d’être aimable, sous peine d’être méconnue. Les arts s’approchèrent du trône, et, pour attacher les yeux du monarque, ils empruntèrent ces formes élégantes et polies, qui n’excluent point la force, mais qui en modèrent l’expression. La galanterie et les plaisirs régnaient dans cette cour brillante. L’usage et le besoin de plaire exigèrent quelques sacrifices de la muse de Racine ; il voulut allier l’esprit du plus aimable des courtisans à l’éloquence du plus grand des poëtes ; mais, élevé chez les solitaires de Port-Royal, il garda heureusement les principes sévères et le goût pur de leur école. Athènes et Jérusalem le défendirent contre Versailles ; la Bible et Homère, qu’il avait tant étudiés, le retinrent toujours près de la nature, et l’y ramenèrent jusqu’au milieu des illusions du monde et de la pompe des palais : il prit seulement à la cour et dans l’élite de la société tout ce qui peut orner le génie, sans l’affaiblir et le corrompre. Ainsi, doué du talent le plus flexible, que tant de causes diverses avaient modifié, il porta tour à tour dans son style les grâces et l’urbanité de son siècle, l’imagination des poëtes grecs, et l’enthousiasme des prophètes hébreux.