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SUR THOMAS.

« Sur leurs tombeaux ouverts d’autres héros renaissent.
« Dit Lefort ; viens, approche et tourne tes regards. »
Dans la foule aussitôt il lui montre Villars,
Qui déjà de la France a mérité l’estime,
Qui, brave et confiant, superbe et magnanime,
Inspirait à la fois, sous ses hardis drapeaux,
L’audace à ses soldats, l’envie à ses rivaux,
Haï des courtisans, chéri dans une armée,
Comme ses ennemis forçant la Renommée ;
Créqui, dont une faute a mûri la valeur,
Qui pour être un grand homme eut besoin du malheur ;
Vauban craint de l’Europe et que Louis révère,
Boufflers, dans une cour Spartiate sévère.
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...............
« Il en est un encor que je ne connais pas,
« Dit Lefort. Ce héros échappé des combats,
« Solitaire habitant d’un asile champêtre,
« Rarement dans les cours vient adorer un maître :
« Il sait, sans les flatter, combattre pour ses rois,
« Et semble importuné du bruit de ses exploits.
« Peut-être de ce jour la pompe solennelle
« L’attire au pied du trône où son devoir l’appelle.
« Je puis en être instruit. » Lefort voit un Français
De qui l’âge commence à sillonner les traits ;
Simple et peu distingué dans une foule obscure,
L’ornement des guerriers est sa seule parure.
— « Permettez que ma voix vous vienne interroger,
« Dit-il ; daignez montrer aux yeux d’un étranger
« Le vainqueur du Piémont, le héros de Marsaille.
« Vos yeux sans doute ont vu sur les champs de bataille
« Ce guerrier philosophe à la cour, dans les camps,
« Dont la vertu modeste orne encor les talents :
« Simple dans la grandeur, humain dans la victoire.
« Qui sait et mériter et dédaigner la gloire.
« Catinat : je le cherche entre tant de héros. »
Il dit, et le Français lui répond en ces mots :
« Étranger, Catinat, s’il pouvait vous entendre,
« Sans doute aurait ici des grâces à vous rendre.