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SUR THOMAS.

eut porté de rang en rang l’ardeur dont il était animé, on le vit presque en même temps pousser l’aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier les Français à demi vaincus, mettre en fuite l’Espagnol victorieux, et étonner de ses regards étincelants ceux qui échappaient à ses coups. Restait cette redoutable infanterie de l’armée d’Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer leurs brèches, demeuraient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançaient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune vainqueur s’efforça de rompre ces intrépides combattants : trois fois il fut repoussé par le valeureux comte de Fontaines, qu’on voyait porté dans sa chaise, et, malgré ses infirmités, montrer qu’une âme guerrière est maîtresse du corps qu’elle anime. Mais enfin il faut céder. C’est en vain qu’à travers des bois, avec sa cavalerie toute fraiche, Bek précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés. Le prince l’a prévenu. Les bataillons enfoncés demandent quartier. Mais la victoire va devenir plus terrible pour le duc d’Enghien que le combat. Pendant qu’avec un air assuré il s’avance pour recevoir la parole de ces braves gens, ceux-ci, toujours en garde, craignent la surprise de quelque nouvelle attaque : leur effroyable décharge met les nôtres en furie : on ne voit plus que carnage ; le sang enivre le soldat, jusqu’à ce que le vainqueur, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus, et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner… Le prince fléchit le genou, et, dans le champ de bataille, il rend au Dieu des armées la gloire qu’il lui envoyait. »

Je sais que ce morceau était autrefois cité dans toutes les rhétoriques l’usage des jeunes gens. Mais les beautés n’en peuvent être senties que par des lecteurs d’un âge plus avancé. Comme ce style est vif et rapide ! Il s’élance avec Condé ; il s’échauffe avec la mêlée ; il en reproduit tout le désordre. On croit entendre le bruit des armes, les cris des soldats et la voix du chef qui s’élève au-dessus de toutes les autres. Tantôt des périodes nombreuses et soutenues semblent