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DISCOURS

dans les sciences, ne se révèlent qu’à l’enthousiasme.

Que la philosophie et la poésie, loin de se combattre, se réunissent donc pour se fortifier et s’embellir, comme dans l’Essai sur l’Homme ! On n’accusera point Pope d’avoir sacrifié l’une à l’autre : elles se prêtent dans ses vers des beautés mutuelles. C’est là qu’il a su réunir des qualités qui souvent se repoussent ; la rapidité des mouvements poétiques à la marche exacte du raisonnement, et l’éclat du style à la simplicité de ces grandes vues, saisies par un esprit vaste qui sait tout généraliser. Je ne dissimulerai point les défauts de cette manière qui a tant d’avantages. Le poëte, en se pressant de franchir les détails, et de n’offrir que des résultats, néglige quelquefois de se faire entendre aux esprits vulgaires : il est des moments où l’attention se fatigue à développer l’étendue des idées qu’il resserre et qu’il entasse. Occupé continuellement à charger son expression de tous les trésors de sa pensée, il laisse apercevoir le travail ; et son style, toujours fort et brillant, n’est pas toujours facile et naturel : il emploie trop souvent la symétrie des antithèses, l’effet des contrastes ; il répète les mêmes mouvements, les mêmes formes. Il faut que le génie, comme la nature, cache les moyens qui font naître ses prodiges, et Pope ne dérobe point assez les ressorts de sa composition. Quoi qu’il en soit, son Essai sur l’Homme, malgré ses imperfections, est le plus beau traité de morale qui existe encore. Pour mieux le juger, voyons ce qu’on avait essayé avant lui dans la poésie philosophique.