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ŒUVRES DE FONTANES.

bulle, Properce, Ovide, ont aussi quelques ébauches de la nature ; mais ce n’est jamais qu’un ombrage favorisé de Morphée, un vallon où Cythérée doit descendre, une fontaine où Bacchus repose dans le sein des Naïades.

« On ne peut guère supposer que des hommes aussi sensibles que les anciens, aient manqué d’yeux pour voir la nature, et de talent pour la peindre ; il faut donc que quelque cause puissante les ait aveugles. Or, cette cause était la mythologie, qui, peuplant l’univers d’élégants fantômes, ôtait à la création sa gravité, sa grandeur, sa solitude et sa mélancolie. Il a fallu que le christianisme vint chasser tout ce peuple de Faunes, de Satyres et de Nymphes, pour rendre aux grottes leur silence, et aux bois leur rêverie. Les déserts ont pris sous notre culte un caractère plus triste plus vague, plus sublime ; le dôme des forêts s’est exhaussé, les fleuves ont brisé leurs petites urnes pour ne plus verser que les eaux de l’abîme du sommet des montagnes ; le vrai Dieu, en rentrant dans ses œuvres, a donné son immensité à la nature.

« Le soleil levant, et le soleil à son coucher, la nuit et l’astre qui l’enchante, ne pouvaient faire sentir aux Grecs et aux Romains les émotions qu’ils portent à notre âme. C’était éternellement l’Aurore aux doigts de rose, les Heures attelant ou dételant les chevaux du Dieu du Jour. Au lieu de ces accidents de lumière qui nous retracent chaque matin le miracle de la création, les anciens ne voyaient partout qu’une uniforme machine d’opéra.

« Si le poëte s’égarait dans les vallées du Taygète, au bord du Sperchius, sur le Ménale aimé d’Orphée, ou dans les campagnes d’Elore, malgré la douceur de cette géographie hellénienne, il ne rencontrait que des Faunes, il n’entendait que des Dryades. Priape était là sur un tronc d’olivier ; et Vertumne, avec les Zéphyrs, menait des danses éternelles. Des Sylvains et des Naïades peuvent frapper agréablement l’imagination, pourvu qu’ils ne soient pas sans cesse reproduits. Nous ne voulons point

....Chassez les Tritons de l’empire des eaux,
Ôter à Pan sa flûte, aux Parques leurs ciseaux.


« Mais enfin qu’est-ce que tout cela laissé au fond de l’âme ? qu’en résulte-t-il pour le cœur ? quel fruit peut en tirer la pensée ? Oh ! que le poëte chrétien est bien plus favorisé dans la solitude où Dieu se