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ŒUVRES DE FONTANES.

vertus de quelques filles pieuses, excitaient un attendrissement universel. Que dis-je ? la peur de déplaire à Louis XIV n’empêchait point ses favoris de plaindre et d’honorer le docteur Arnauld, exilé par son ordre. Racine et Boileau, tout courtisans qu’on les suppose, adressaient des vers et des éloges à cet illustre opprimé, et même ils osaient les lire devant le monarque, dont la grande âme pardonnait cette noble franchise. Ainsi, les plus petits événements, quand ils tenaient au christianisme, avaient quelque chose de respectable et de sacré. L’esprit de la religion était partout, dans l’État et dans la famille, dans le cœur et dans les discours, dans toutes les affaires sérieuses, et jusque dans les jeux domestiques. En voulez-vous de nombreux exemples ? Parcourez les Lettres de madame de Sévigné.

Cette femme illustre vit dans sa terre des Rochers, au fond de la Bretagne, et loin de tout ce qu’elle aime. Elle veut échapper à l’ennui de la solitude, et retrouver dans ses lectures le charme des sociétés de Paris. Eh bien ! quels sont les ouvrages que son goût préfère ? Elle choisit les Essais de Morale de Nicole. Elle a pour lecteur son fils, qui revient de l’armée. Ce jeune homme, dont l’esprit et les grâces s’étaient fait remarquer de Ninon, juge très bien le janséniste Nicole ; et, dans ces soirées studieuses qu’il passe à côté de la plus aimable des mères, il oublie les séductions de cette Champmêlé qu’il avait aimée, et dont la voix était, dit-on, aussi tendre que les vers du poëte qui fut son maître. Observez bien que madame de Sévigné,