Page:Fontanes - Œuvres, tome 2.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
DISCOURS

d’œil, que des déclamations et des lieux communs : Pope a su les éviter ; il rajeunit avec art ces maximes philosophiques, tant de fois employées par les bons et les mauvais écrivains, sur la fortune, la noblesse et la renommée. Jamais il n’a mieux montré cet art dont a depuis hérité le plus grand poëte de notre siècle, l’art d’allier tous les tons, de briller par le contraste ingénieux, le rapprochement inattendu des idées qui semblent le plus s’éloigner. On le voit passer tour à tour de la grandeur à la familiarité, de l’énergie à la douceur, de l’enjouement à la sensibilité. Pope laisse échapper dans cette épître, en parcourant les diverses conditions de la vie humaine, des traits énergiques ou légers de ce talent qu’il avait reçu pour la satire ; arme utile et honorable, quand on la dirige contre des préjugés nuisibles et les ridicules généraux de la société. Mais bientôt, fatigué du spectacle des travers et des vices, il rentre dans son âme pour y chercher les sources des vraies jouissances et les règles des mœurs. Il répand dans son style des couleurs plus douces et plus aimables ; il rappelle le souvenir de sa mère et de ses amis. On aime à croire qu’en chantant le bonheur, il trouvait le sien dans l’espoir d’immortaliser les noms qu’il chérissait. C’est là que Pope a jeté cette belle maxime, développée par J.-J. Rousseau : « Le mal est l’ouvrage du méchant, et non celui du Créateur. » Mais elle est plus ancienne que l’Émile et l’Essai sur l’Homme. On lit, dans un hymne grec, attribué au philosophe Cléanthe : « Jupiter, tout émane de toi,