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DE LA LITTÉRATURE.

je viens de nommer. Il serait presque aussi raisonnable de soutenir que la vieille chanson de Roland et les airs de Thibaud, comte de Champagne, ont créé Corneille et Racine. D’ailleurs, qu’on me permette cette expression, il y a bien plus de cordes à la harpe de David et d’Isaïe qu’à celle d’Ossian.

Mais les poëtes du Nord, en imitant ceux du Midi, ne se donnent-ils pas souvent une chaleur factice, un délire artificiel ? L’enthousiasme n’est-il pas remplacé par des convulsions ? Au lieu d’une mélancolie attendrissante, n’y trouve-t-on pas une tristesse monotone ?

L’examen de la poésie anglaise et de la poésie allemande, imitée de la première, fournirait un article assez curieux. On serait étonné peut-être de voir que la renommée de Shakspeare ne s’est si fort accrue en Angleterre même, que depuis les éloges de Voltaire. Cedernier se repentit dans sa vieillesse d’avoir enhardi le mauvais goût à placer le monstre, comme il l’appelait, sur les autels de Sophocle et de Racine.

Mais c’est trop de combats à soutenir en même temps. On ne doit pas attirer la colère des admirateurs de Shakspeare, de Schiller, d’Iffland, de Kotzebue, quand il faut soutenir celle des partisans de madame de Staël. Depuis un mois, des éloges convenus et dictés se multiplient de toutes parts en sa faveur ; et, dans un certain parti, la supériorité de son livre est d’autant mieux reconnue, qu’on a mieux démontré l’inexactitude des notions et des jugements qu’il renferme.