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ŒUVRES DE FONTANES.

la volupté. Je crois avoir vu dans une des lettres originales d’Héloïse, qu’elle lisait quelquefois avec Abailard les vers d’Anacréon et de Tibulle, et que cette lecture augmentait son amour. Mais madame de Staël qui vient de nous dire que la douleur n’est plus faite comme autrefois, soutiendra peut-être que l’amour a beaucoup changé depuis Héloïse, et que l’art de plaire et d’aimer n’est plus le même. Je la prie de nous dire si, dans ce genre, il faut croire au système de la perfectibilité.

On sent bien que si les poëtes de la Grèce sont si maltraités, les philosophes et les historiens obtiennent encore moins de faveur au tribunal du nouveau critique. Les historiens surtout sont jugés avec une rigueur qu’on trouverait inexcusable de la part d’un homme qui les aurait lus avec attention. Mais, pour l’honneur du goût de madame de Staël, on s’aperçoit très vite qu’elle prononce sur parole, et qu’elle ne connait pas les écrivains dont il est question. Écoutons l’arrêt qu’elle rend contre eux, et lisons le passage qui les concerne :

« Ils n’approfondissent point les caractères, ils ne jugent point les institutions ; ils marchent avec les événements, ils suivent leur impulsion, ils ne s’arrêtent point pour les considérer. On dirait que, nouveaux dans la vie, ils ne savent pas si ce qui est pourrait exister autrement. Ils ne blâment ni n’approuvent ; ils transmettent les vérités morales comme les faits physiques, les beaux discours comme les mauvaises actions, les bonnes lois comme les volontés tyranni-