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DE LA LITTÉRATURE.

même. Il peignait souvent des rois humiliés par la destinée, mais ce n’était pas pour outrager le malheur ; c’était pour donner de grandes leçons à la puissance trop confiante et trop aveugle ; c’était pour attacher les hommes obscurs à leur vie paisible, et pour effrayer utilement la fortune et la prospérité : toutes leurs tragédies en sont la preuve.

Eschyle, à la fois soldat et poëte, Eschyle, l’un des plus ardents républicains du siècle et de l’état le plus libres de la Grèce, n’insulte pas une seule fois, dans sa tragédie des Perses, aux désastres de Xerxès. Il montre ce prince revenant seul et désespéré dans la capitale de son empire ; il ne lui reste plus de ses vastes armements qu’un carquois vide et son arc brisé ; il gémit et déchire ses vêtements. Ses sujets pleurent autour de lui : ils l’interrogent avec effroi. « Ah ! le courage des Grecs ne m’était pas connu, s’écrie-t-il ; c’est une nation pleine de valeur ; je l’ai éprouvé contre mon attente ! » Quelle grande idée cet aveu de Xerxès donne du peuple vainqueur ! et que le poëte eût diminué la gloire nationale, s’il eût prodigué les invectivés contre l’ennemi vaincu ! Combien Eschyle relève au contraire la dignité de la Grèce, en ménageant celle du trône et du malheur ! Combien il rend la liberté plus auguste, en la montrant si généreuse et même si compatissante pour un roi dont elle a triomphé ! Voilà, si je ne me trompe, les beautés éminemment propres au génie républicain ; et, pour le dire en passant, ce génie est bien peu connu des hommes qui s’alarment ou s’irritent toutes les fois qu’on