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DE LA LITTÉRATURE.

mouvement de son âme serait-il aussi vrai, aussi naïf, aussi éloquent ? Mais elle voit Hector toujours vivant sous cette tombe qu’elle embrasse ; elle le croit dans l’Élysée, d’où reviennent quelquefois les ombres heureuses. On n’est plus surpris qu’elle interroge Énée avec toutes les illusions de l’espérance et de l’amour. Voyez comme toutes les images, les cérémonies, les croyances religieuses, les dieux de Troie qui ont été vaincus, et les dieux infernaux qui ne peuvent l’être, ajoutent à l’intérêt ! Comparez à de semblables beautés les poésies morales et philosophiques auxquelles madame de Staël veut nous réduire, et jugez ! Plusieurs volumes des poëtes anglais et allemands qu’elle loue avec tant d’exagération, ne valent pas sans doute cette scène admirable, contenue dans quelques vers du troisième livre de l’Énéide.

Je crains qu’elle ne juge pas mieux le caractère des Grecs que leur poésie ; elle est sans cesse frappée de ce qui leur manque relativement aux affections du cœur ; les fils même, suivant elle, respectaient à peine leurs mères.

On se rappelle le moment où Pénélope, dans l’Odyssée, se montre couverte d’un voile, au milieu de la salle où sont réunis les princes qui se disputent sa main. Son fils Télémaque lui représente que les assemblées où se traitent les affaires sont faites pour les hommes, et qu’elle doit reprendre ses toiles, ses fuseaux, ses laines et ses occupations domestiques. Elle sort en admirant la sagesse de son fils. Cette naïveté des siècles héroïques révolte beaucoup ma-