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ÉLOGE DE WASHINGTON.

eux seuls qu’il appartient de marquer la place qu’occupera Washington parmi les capitaines fameux. Ses succès parurent avoir plus de solidité que d’éclat, et le jugement domina plus que l’enthousiasme dans sa manière de commander et de combattre. D’ailleurs les prodiges militaires exécutés par les troupes françaises, ont affaibli la renommée de tout ce qui s’est illustré dans la même carrière. Aucun peuple ne peut donner désormais les leçons de l’héroïsme à celui qui en a dans son sein tous les modèles. Mais Washington nous offre d’autres exemples non moins dignes d’être imités. Au milieu de tous les désordres des camps et de tous les excès inséparables de la guerre civile, l’humanité se réfugia sous sa tente, et n’en fut jamais repoussée. Dans les triomphes et dans l’adversité, il fut toujours tranquille comme la sagesse, et simple comme la vertu. Les affections douces restèrent au fond de son cœur ; même dans ces moments où l’intérêt de sa propre cause semblait légitimer en quelque sorte les lois de la vengeance. C’est toi que j’en atteste, ô jeune Asgill, toi dont le malheur sut intéresser l’Angleterre, la France et l’Amérique. Avec quels soins compatissants Washington ne retarda-t-il pas un jugement que le droit de la guerre permettait de précipiter ! Il attendit qu’une voix alors toute-puissante[1] franchit l’étendue des mers, et demandât une grâce qu’il ne pouvait lui refuser. Il se laissa toucher sans peine par cette voix

  1. Celle de la reine Marie-Antoinette.