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ESSAI SUR L’HOMME.

Hélas ! tout bel-esprit n’est qu’un hochet aimable,
Tout guerrier qu’un fléau : le seul homme estimable,
C’est l’homme vertueux, le chef-d’œuvre du Ciel.

 L’avenir peut garder le nom d’un criminel ;
En l’accusant toujours, l’histoire inexorable
Préserve de l’oubli sa mémoire exécrable,
Comme les justes lois, dans leur sévérité,
Préservent du tombeau son cadavre infecté ;
On maudit et son nom et sa cendre fatale,
Et l’air empoisonné qui vers nous s’en exhale.
Crois-moi, la fausse gloire est comme un faux encens
Loin de pénétrer l’âme, elle étourdit les sens.
Ah ! d’un peuple aveugle la turbulente ivresse
Ne vaut pas d’un cœur pur la paisible allégresse ;
Et Marcellus proscrit était plus fortune
Que d’un sénat flatteur César environné !

 Quel est des grands talents et le prix et l’usage ?
Apprends-nous, tu le peux, à quoi sert d’être sage,
Illustre Bolingbroke ? À mieux apercevoir
Combien l’homme sait peu tout ce qu’il croit savoir.
À gémir plus souvent sur l’humaine impuissance.
Veux-tu venger les lois, réprimer la licence.
Et, plus hardi peut-être, aux humains prévenus
Porter une science et des arts inconnus ?
Aucun ne t’aidera : peu sauront te comprendre ;
Des sots et des jaloux il faudra te défendre.
Que le don dis talents est un don dangereux !
Toujours le plus illustre est le plus malheureux.