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M. DE FONTANES

imagination, grandement séduite par le glorieux triomphateur, y comptait déjà. L’assassinat du duc d’Enghien lui tua son Trajan. Il continua pourtant de servir, enchainé par ses antécédents, par ses devoirs de famille, par sa modération même. Il était monarchiste par goût, par principe : « Un pouvoir unique et permanent convient seul aux grands états, » disait-il ; sa plus grande peur était l’anarchie. Il resta donc attaché au seul pouvoir qui fût possible alors, s’efforçant en toute occasion, et dans la mesure de ses paroles, ou même de ses actes, de lui insinuer, à ce pouvoir trop ensanglanté d’une fois, mais non pas désespéré, la paix, l’adoucissement, de l’humaniser par les lettres, de le spiritualiser par l’infusion des doctrines sociales et religieuses :

Græcia capta ferum victorem cepit…


Quand on lit aujourd’hui cette suite de vers où se décharge et s’exhale son arrière-pensée, l’ode sur l’assassinat du duc d’Enghien, l’ode sur l’Enlèvement du Pape, on est frappé de tout ce qu’il dut par moments souffrir et contenir, pour que la surface officielle ne trahit rien au-delà de ce qui était permis. Si l’on ne voyait ses discours publics que de loin, on n’en découvrirait pas l’accord avec ce fond de pensée, on n’y sentirait pas les intentions secrètes et, pour ainsi dire, les nuances d’accent qu’il y glissait, que le maître saisissait toujours, et dont il s’irrita plus d’une fois ; on serait injuste envers Fontanes, comme l’ont été à plaisir plusieurs de ses contemporains, qui, serviteurs aussi de l’empire, n’ont jamais su l’être aussi décemment que lui.

Pour nous, qui n’avons jamais eu à faire aux rois ni aux empereurs de ce monde, mais qui avons eu mainte fois à nous prononcer devant ces autres rois, non moins ombrageux, ou ces prétendants de la littérature, nous qui savons combien souvent, sous notre plume, la louange apparente n’a été qu’un conseil assaisonné, nous entrerons de près dans la pensée de