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M. DE FONTANES

On ne s’étonne plus, quand on connaît cette lettre, qu’un mois après, le premier Consul ait songé à Fontanes pour le charger de prononcer l’éloge funèbre de Washington aux Invalides (20 pluviôse, 9 février 1800).

Fontanes le composa en trente-six heures, dans toute la verve de sa limpide manière. Ce noble discours remplit-il toutes les intentions du Consul ? À coup sûr, l’orateur y remplit ses propres intentions les plus chères. Une parole modérée, pacifique, compatissante, pieuse au sens antique, s’y faisait entendre devant les guerriers. C’était dans ce temple de Mars, quelque chose de ce bienfaisant esprit de Numa, dont parle Plutarque, qui allait s’insinuant comme un doux vent à travers l’Italie, et s’ouvrant les cœurs, le lendemain des jours sauvages de Romulus : « Elles ne sont plus enfin ces pompes barbares, aussi contraires à la politique qu’à l’humanité, où l’on prodiguait l’insulte au malheur, le mépris à de grandes ruines et la calomnie à des tombeaux. » Attestant les ombres du grand Condé, de Turenne et de Catinat, présentes sous ce dôme majestueux, l’orateur les réunissait en idée à celles du héros libérateur : « Si ces guerriers illustres n’ont pas servi la même cause pendant leur vie, la même renommée les réunit quand ils ne sont plus. Les opinions, sujettes aux caprices des peuples et des temps, les opinions, partie faible et changeante de notre nature, disparaissent avec nous dans le tombeau : mais la gloire et la vertu restent éternellement. » Il insistait sur Catinat ; il faisait ressortir l’estime plus forte encore que la gloire, la modération, la simplicité, le désintéressement, toutes les vertus patriarcales, couronnant et appuyant le triomphe des armes en Washington. En face de ces hommes prodigieux qui apparaissent d’intervalle en intervalle avec le caractère de la grandeur et de la domination, il proclamait, comme non moins utile au gouvernement des États qu’à la conduite de la vie, le bon sens trop méprisé, cette qualité que nous présente le héros américain dans un degré supérieur, et qui donne plus de bon-