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M. DE FONTANES

bourg (que n’allait-il tout droit à Klopstock ?), et dans ces pays où son genre d’études était peu goûté, il s’estimait comme Ovide au milieu d’une terre barbare. Tant de souffrances étaient peu propres à le réconcilier avec l’Allemagne. À travers les mille angoisses, il travaillait à sa Grèce sauvée, et, comme il l’écrit, s’y jetait à corps perdu. Enviant le sort de Lacretelle et de La Harpe, qui du moins vivaient cachés en France (et La Harpe l’avait été quelque temps chez madame de Fontanes même), il songeait impatiemment à rentrer : « Je viens de lire une partie du décret ; quelque sévère qu’il soit, je persiste dans mes idées. Je me cacherai et je travaillerai au milieu de mes livres. Je n’ai plus qu’un très petit nombre d’années à employer pour l’imagination ; je veux en user mieux que des précédentes. Je veux finir mon poëme. Peut-être me regrettera-t-on quand je ne serai plus, si je laisse quelque monument après moi… » Son cri perpétuel, en écrivant à madame de Fontanes et à son ami Joubert, était : « Ne me laissez point en Allemagne : un coin et des livres en France… Je ne veux que terminer dans une cave, au milieu des livres nécessaires, mon poëme commencé. Quand il sera fini, ils me fusilleront, si tel est leur bon plaisir. » Un jour, apprenant qu’au nombre des lieux d’exil pour les déportés, on avait désigné l’île de Corfou, ce ciel de la Grèce tout d’un coup lui sourit : « J’ai été vivement tenté d’écrire à cet effet au Directoire : je ne vois pas qu’il put refuser à un poëte déporté, qui mettrait sous ses yeux plusieurs chants (il y avait donc dés lors plusieurs chants) d’un poëme sur la Grèce, un exil à Corfou, puisqu’il y veut envoyer d’autres individus frappés par le même décret. Ceci vous parait fou. Mais songez-y bien : qu’est-ce qui n’est pas cent fois mieux que Hambourg ? » Durant toute cette proscription, Fontanes luttant contre le flot, et cherchant à tirer son épopée du naufrage, me fait l’effet de Camoẽns qui soulève ses Lusíades d’un bras courageux ; par malheur la Grèce sauvée ne s’en est tirée qu’en lambeaux.