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M. DE FONTANES


À BONAPARTE.


« Brave général,


« Tout a changé et tout doit changer encore, a dit un écrivain politique de ce siècle, à la tête d’un ouvrage fameux. Vous hâtez de plus en plus l’accomplissement de cette prophétie de Raynal. J’ai déjà annoncé que je ne vous craignais pas, quoique vous commandiez quatre-vingt mille hommes, et qu’on veuille nous faire peur en votre nom. Vous aimez la gloire, et cette passion ne s’accommode pas de petites intrigues, et du rôle d’un conspirateur subalterne auquel on voudrait vous réduire. Il me parait que vous aimez mieux monter au Capitole, et cette place est plus digne de vous. Je crois bien que votre conduite n’est pas conforme aux règles d’une morale très sévère ; mais l’héroïsme a ses licences : et Voltaire ne manquerait pas de vous dire que vous faites votre métier d’illustre brigand comme Alexandre et comme Charlemagne. Cela peut suffire à un guerrier de vingt-neuf ans.

« Je me promènerais, je le répète, avec la plus grande sécurité, dans votre camp peuplé de braves comme vous, et je conviens qu’il serait fort agréable de vous voir de près, de suivre votre politique, et même de la deviner quand vous garderiez le silence.

« Savez-vous que dans mon coin je m’avise de vous prêter de grands desseins ? Ils doivent, si je ne me trompe, changer les destinées de l’Europe et de l’Asie.

« Toute mon imagination fermente depuis qu’on m’annonce que Rome a changé son gouvernement. Cette nouvelle est prématurée sans doute ; mais elle pourra bien se réaliser tôt ou tard.

« Vous aviez montré pour la vieillesse et le caractère du chef de l’église des égards qui vous avaient honoré. Mais peut-être espériez-vous alors que la fin de sa carrière amènerait