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iv
LETTRE

Quant au côté politique des choses, vous n’en avez rien à craindre, Madame, pour le succès de votre entreprise filiale. Votre père a servi Bonaparte : en bien ! tout le monde n’adore-t-il pas Bonaparte à cette heure ? Chacun n’en fait-il pas le type de son opinion ? Le royaliste dit : « C’est celui-là qui savait gouverner ! » le républicain s’écrie : « C’est celui-là qui était la source de toutes les libertés ! » le militaire répète : C’est celui-là qui nous rendait maîtres à Vienne, à Berlin, à Moscou. » Lorsque trois révolutions se sont opérées, l’humeur la plus susceptible pourrait-elle aller chercher dans les détails de la vie d’un homme un sujet d’injustice ou de colère d’opinion ? Les questions que l’on agite aujourd’hui sont puériles, parce qu’elles n’ont pas d’avenir : des intérêts individuels, que l’on érige en principes généraux, servent à remplir ces intervalles d’un repos apparent, qui lient les grands événements passés aux grands événements futurs. Tout a changé : tout continue de changer : nous voyons venir sur nous avec impétuosité la société nouvelle, comme on voit venir le boulet sur le champ de bataille. Rien de ce qui existe n’existera ; la vieille Europe est tombée avec la vieille monarchie française : la Religion seule est debout. Ces couronnements, dont on nous a donné le spectacle, sont les dernières représentations ou les dernières parades d’un monde qui va disparaître : c’est un calque, une image ; ce n’est plus un original, une réalité. Les populations se substituent à leurs chefs ; l’esprit qui régit passe dans les masses : deux cents mille hommes, à Birmingham, ont répondu aux génuflexions de Westminster. Le coup est porté : l’effet peut n’être pas immédiat, mais il est sûr.

Tandis que vous érigez un monument funèbre, moi, Madame, je rassemble les pensées du plus ancien ami de votre