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VARIANTES.

Mais, en traçant des parcs pour la richesse, il a semblé oublier la retraite de l’heureuse médiocrité. La partie utile des jardins, celle qui appartient à tous les habitants des campagnes, a été surtout négligée. Cependant il faut, dans le poëme didactique, s’attacher aux principes invariables et universels de l’art dont on traite, et non pas aux exceptions. Cet art doit intéresser, s’il est possible, une classe nombreuse ; et quand il n’est destiné qu’à satisfaire les fantaisies dispendieuses de quelques riches propriétaires, il est à craindre que l’intérêt ne se refroidisse pour le fond du sujet, quoique l’admiration se soutienne pour les détails dont il est orné.

Virgile, dont on atteste en vain l’exemple, que voulait-il faire en effet ? Après avoir peint les utiles travaux de l’agriculture, il eût décrit rapidement ceux du jardinage, qui en sont une dépendance. Comment ornait-il son enclos champêtre ? avec des plantes potagères, des (leurs, une ruche, des arbres fruitiers et des eaux. Ce jardin, le fondement de tous les autres, est assez simple pour que chacun y puisse prétendre sans trop d’ambition ; c’est celui du pauvre ; et les objets qu’il renferme doivent se trouver même chez le riche, avant des rochers, des ruines et des temples. Je n’ai pas sans doute rempli le plan de Virgile, mais j’ai cherché à le suivre ; au lieu des parcs de Wathely et de Le Nôtre, j’ai voulu tracer simplement

Le jardin du berger, du poëte et du sage.


Ces observations ne tendent point à diminuer l’admiration qu’on doit au grand et rare talent de M. l’abbé Delille. Le défaut principal est bien couvert par la foule de beautés poétiques qu’il a semées dans son ouvrage : les vers français n’ont jamais eu plus d’éclat, plus d’harmonie, et de variété dans le rhythme. En un mot, puisque le style fait le poëte, M. l’abbé Delille l’est au plus haut degré.

Ce sujet-ci ne pouvait admettre ni les brillantes peintures, ni les riches digressions du poëme des Jardins ; il fallait prendre un ton