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ŒUVRES DE FONTANES.


ÉPITRE À BOISJOLIN

SUR L’EMPLOI DU TEMPS.


1792.


 Sur les bords de la Saône, heureux dans ma retraite,
Possédant plus de biens qu’il n’en faut au poëte,
Ma volage pensée, au milieu de Paris
Court retrouver encor tous ceux que j’ai chéris,
Ces premiers compagnons des goûts de ma jeunesse.
Qui préféraient aux rangs, aux dons de la richesse,
Les rêves de la gloire, à cet âge si chers,
Une heureuse indigence et l’amour et les vers.

 Boisjolin, c’est à toi qu’aujourd’hui je m’adresse ;
Nous aimons tous les deux les arts et la paresse ;
Peut-on nous en blâmer ? Sans nous assez d’auteurs
De leur fécondité fatiguent les lecteurs !
Il est doux de rêver ; il l’est si peu d’écrire !
Plus d’un Linière encore appelle la satire.
Mais tout à son excès : n’attendons pas trop tard ;
On railla justement le sommeil de Conrart.
Exerçons la pensée : elle croit par l’usage.
Les vers, comme l’amour, vont si bien au jeune âge !

 Mets-le à profit, crois-moi : tout fuit, cher Boisjolin,
Et trop tôt le talent a ses jours de déclin.