Page:Fontanes - Œuvres, tome 1.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xlviii
M. DE FONTANES

cette époque ; il n’y faisait qu’une exception éclatante, et s’y effaçait volontiers. Il fut orateur de l’empire, mais le poëte chez lui était antérieur.

La traduction de l’Essai sur l’Homme, si perfectionnée depuis, mais déjà fort estimable, et enrichie de son excellent Discours préliminaire, parut pour la première fois en 1783, et valut à l’auteur un article de La Harpe, adressé sous forme de lettre au Mercure[1]. Un article de La Harpe, c’était la consécration officielle d’un talent. Le critique insistait beaucoup, en louant M. de Fontanes, sur la marche imposante et soutenue de sa phrase poétique et cet art de couper le vers sans le réduire à la prose, et de varier le rhythme sans le détruire, deux choses, dit-il, si différentes, et qu’aujourd’hui l’ignorance et le mauvais goût confondent si souvent. Il louait avant tout, dans le traducteur, et recommandait avec raison aux jeunes écrivains l’ensemble et le tissu du style, qu’on sacrifiait dès lors à l’effet du détail ; il s’élevait à plusieurs reprises contre les métaphores accumulées et les figures nébuleuses : « Ce n’est pas, ajoutait-il, à M. de Fontanes que cet avis s’adresse, il en a trop rarement besoin ; mais les vérités communes ne peuvent pas être perdues aujourd’hui ; il faut bien il les opposer aux nouvelles extravagances des nouvelles doctrines :

« Un tronc jadis sauvage adopte sur sa tige
« Des fruits dont sa vigueur hâte l’heureux prodige[2];


« Hâter le prodige des fruits est une métaphore très obscure. C’est peut-être la seule fois que l’auteur s’est rapproché du style à la mode, et Dieu me préserve de le lui passer ! » On cherche à qui peut avoir trait, en somme, cette véhémence de La Harpe : ce n’est pas même à Delille, c’est tout au plus

  1. Septembre 1783.
  2. Essai sur l’Homme, dans la 1re édit.