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M. DE FONTANES

mère, qui arriva un an après, il alla séjourner en Normandie, aux Andelys, y apprit l’anglais par occasion, y recueillit, dans ses courses rêveuses, de fraîches impressions poétiques, que sa Forêt de Navarre et son Vieux Château nous ont rendues. Venu à Paris, vers 1777, il y commença des liaisons littéraires. Je ne parle pas de Dorat, singulier patron, qu’il se trouva tout d’abord connaître et cultiver plus qu’il ne semble naturel, d’après le peu d’unisson de leurs esprits. Il aimait raconter qu’à la seconde année de ce séjour, se promenant avec Ducis, ils rencontrèrent Jean-Jacques, bien près alors de sa fin. Ducis, qui le connaissait, l’aborda, et, avec sa franchise cordiale, réussissant à l’apprivoiser, le décida à entrer chez un restaurateur. Après le repas, il lui récita quelques scènes de son Œdipe chez Admète, et lorsqu’il en fut à ces vers où l’antique aveugle se rend témoignage :

… Écoutez-moi, grands Dieux !
J’ose au moins sans terreur me montrer à vos yeux.
Hélas ! depuis l’instant où vous m’avez fait naître,
Ce cœur à vos regards n’a point déplu peut-être.
Vous frappiez, j’ai gémi. J’entrerai sans effroi
Dans ce cercueil trompeur qui s’enfuit loin de moi.
Vous savez si ma voix, toujours discrète et pure,
S’est permis contre vous le plus léger murmure ;
C’est un de vos bienfaits que, né pour la douleur,
Je n’aie au moins jamais profané mon malheur[1] !


Jean-Jacques, qui avait jusque-là gardé le silence, sauta au cou de Ducis, en s’écriant d’une voix caverneuse : « Ducis, je vous aime ! » M. de Fontanes, témoin muet et modeste de la scène, en la racontant après des années, croyait encore entendre l’exclamation solennelle.

Il ne vit Voltaire que de loin, couronné à la représentation d’Irène; mais il n’eut pas le temps de lui être présenté. Son

  1. Acte III, scène 4.