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NOTICE HISTORIQUE

pitole, suivant la prédiction de Fontanes ; la France espéra, et Fontanes, rentré en France peu de temps auparavant, ne fut plus réduit à s’y cacher. Quoique le décret de déportation pesât toujours sur sa tête, il vivait à Paris, fort retiré, mais paisible, dans un petit logement de la rue Saint-Honoré, près de Saint-Roch, lorsque, apprenant la mort de Washington, Bonaparte résolut de faire prononcer son éloge funèbre. Voici sur cet incident quelques détails curieux, qui nous furent transmis au moment même par le témoin le plus digne de foi : « Washington, dit le premier Consul, est le seul homme qui soit sur ma ligne… j’ai été un instant sur celle de Cromwell… je veux qu’il soit loué dignement publiquement… qui choisir ? » M. Maret (depuis duc de Bassano), homme lettré, toujours prêt à inspirer comme à concevoir des idées généreuses, répond sans hésiter : Fontanes. Un troisième personnage ayant fait observer que Fontanes est sur la liste des déportés : « N’est-ce que cela, réplique vivement Bonaparte ; je le raye de cette liste ; c’est lui qui prononcera l’oraison funèbre, et je veux que ce soit le 20 de ce mois[1], dans le temple de Mars (la chapelle des Invalides). » Trois jours seulement furent donnés à l’orateur pour remplir cette difficile et noble tache ; difficile en effet, quand on songe à la position respective du panégyriste et de celui qui commandait le panégyrique, aux opinions politiques de l’un, et aux desseins ambitieux de l’autre. Nul ne doutait en France que l’illustre guerrier, despote naissant, sous le titre modeste et hypocrite de consul, n’attendit de Fontanes autre chose que l’éloge de Washington. Aujourd’hui même encore, on ne relit point sans étonnement ce chef-d’œuvre de goût, d’adresse et d’éloquence tempérée où, parcourant les vertus de Washington, l’orateur met au-dessus de toutes les autres sa modération et son bon sens. On est surtout frappé de ce passage qui rappelait si vivement, dans un tel lien et à une

  1. 20 pluviose an VIII (9 février 1800).