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LE JOUR DES MORTS.


 Lorsqu’un hiver fameux désolait nos contrées,
Et que le grand Louis, dans son palais en deuil,
Vaincu, pleurait trop tard les fautes de l’orgueil,
Hombert, dans l’âge heureux qu’embellit l’espérance
Déjà d’un premier fils bénissait la naissance.
Le rigoureux janvier, ramenant l’aquilon,
Détruit tous les trésors qu’attendait le sillon :
Sur les champs dévastés la mort seule domine ;
Deux mois, dans nos climats, la hideuse famine
Courut seule et muette, en dévorant toujours.
Hombert désespéré, sa femme sans secours,
Voyaient le monstre affreux menacer leur asile.
Ils pleuraient sur leur fils : leur fils dormait tranquille.
Ô courage ! ô vertu ! renfermant ses douleurs,
Hombert, pour la sauver, fuit une épouse en pleurs.
Soldat, il prend le glaive, il s’exile loin d’elle ;
Mais, du milieu des camps, sa tendresse fidèle,
À sa femme, à son fils, se hâtait d’envoyer
Ce salaire indigent, noble prix du guerrier.
On dit que de Villars il mérita l’estime,
Et même, sous les yeux de ce chef magnanime,
Aux bataillons d’Eugène il ravit un drapeau.
La paix revint, alors il revit son hameau,
Et, pour le soc paisible, oublia son armure.

 Son exemple, éclairant une aveugle culture,
Apprit à féconder ces domaines ingrats ;
Ce rempart tutélaire, élevé par son bras,
Du fleuve débordé contint les eaux rebelles.
Que de fois il calma les naissantes querelles !