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LE JOUR DES MORTS.

Ces sentiments divins qu’ont prescrits les faux sages ;
Ils ont dégradé l’homme, et vous l’agrandissez,
Que nos plus chers devoirs soient par vous retracés.
Hélas ! dans nos remparts, de l’ami le plus tendre,
Où peut l’œil incertain redemander la cendre ?
Les morts en sont bannis, leurs droits sont violés,
Et leurs restes sans gloire au hasard sont mêlés.
Ah ! déjà contre nous j’entends frémir leurs mânes.
Tremblons : malheur aux temps, aux nations profanes,
Chez qui, dans tous les cœurs, affaibli par degré,
Le culte des tombeaux cessa d’être sacré !

 Les morts ici du moins n’ont pas reçu d’outrage ;
Ils conservent en paix leur antique héritage.
Leurs noms ne chargent point des marbres fastueux ;
Un pâtre, un laboureur, un fermier vertueux,
Sous ces pierres sans art, tranquillement sommeille.
Elles couvrent peut-être un Turenne, un Corneille,
Qui dans l’ombre a vécu, de lui-même ignoré.
Eh bien ! si de la foule autrefois séparé,
Illustre dans les camps, ou sublime au théâtre,
Son nom charmait encor l’univers idolâtre,
Aujourd’hui son sommeil en serait-il plus doux ?

 De ce nom, de ce bruit, dont l’homme est si jaloux,
Combien, auprès des morts, j’oubliais les chimères !
Ils réveillaient en moi des pensées plus austères.
Quel spectacle ! D’abord un sourd gémissement
Sur le fatal enclos erra confusément.
Bientôt les vœux, les cris, les sanglots retentissent ;