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puérilité les artistes chargés de décorer les tombeaux s’attachent à copier, dans leurs statues, des broderies, des dentelles, des nattes de cheveux. Ils sont peut-être exacts. Ils ne sont pas vrais, puisqu’ils ne s’adressent pas à l’âme.

Presque tous nos sculpteurs rappellent ceux des cimetières italiens. Dans les monuments de nos places publiques, on ne distingue que redingotes, tables, guéridons, chaises, machines, ballons, télégraphes. Point de vérité intérieure, donc point d’art. Ayez horreur de cette friperie.

Soyez profondément, farouchement véridiques. N’hésitez jamais à exprimer ce que vous sentez, même quand vous vous trouvez en opposition avec les idées reçues. Peut-être ne serez-vous pas compris tout d’abord. Mais votre isolement sera de courte durée. Des amis viendront bientôt à vous : car ce qui est profondément vrai pour un homme l’est pour tous.

Pourtant pas de grimaces, pas de contorsions pour attirer le public. De la simplicité, de la naïveté !

Les plus beaux sujets se trouvent devant vous : ce sont ceux que vous connaissez le mieux.

Mon très cher et très grand Eugène Carrière, qui nous quitta si vite, montra du génie à peindre sa femme et ses enfants. Il lui suffisait de célébrer l’amour maternel pour être sublime. Les maîtres sont ceux qui regardent avec leurs propres yeux ce que tout le monde a vu et qui savent apercevoir la beauté de ce qui est trop habituel pour les autres esprits.

Les mauvais artistes chaussent toujours les lunettes d’autrui.

Le grand point est d’être ému, d’aimer, d’espérer, de frémir, de vivre. Être homme avant d’être artiste ! La vraie éloquence se moque de l’éloquence, disait Pascal. Le vrai art se moque de l’art. Je reprends ici l’exemple d’Eugène Carrière. Dans les expositions, la plupart des tableaux ne sont que de la peinture : les siens semblaient, au milieu des autres, des fenêtres ouvertes sur la vie !

Accueillez les critiques justes. Vous les reconnaîtrez facilement. Ce sont celles qui vous confirmeront dans un doute dont vous êtes assiégé. Ne vous laissez pas entamer par celles que votre conscience n’admet pas.

Ne redoutez pas les critiques injustes. Elles révolteront vos amis. Elles les forceront à réfléchir sur la sympathie qu’ils vous portent et ils l’afficheront plus résolument quand ils en discerneront mieux les motifs.

Si votre talent est neuf, vous ne compterez d’abord que peu de partisans et vous aurez une foule d’ennemis. Ne vous découragez pas. Les premiers triompheront : car ils savent pourquoi ils vous aiment ; les autres ignorent pourquoi vous leur êtes odieux ; les premiers sont passionnés pour la vérité et lui recrutent sans cesse de nouveaux adhérents ; les autres ne témoignent d’aucun zèle durable pour leur opinion fausse ; les premiers sont tenaces, les autres tournent à tous les vents. La victoire de la vérité est certaine.

Ne perdez pas votre temps à nouer des relations mondaines ou politiques. Vous verrez beaucoup de vos confrères arriver par l’intrigue aux honneurs et à la fortune : ce ne sont pas de vrais artistes. Certains d’entre eux sont cependant très intelligents et si vous entreprenez de lutter avec eux sur leur terrain, vous consumerez autant de temps qu’eux-mêmes, c’est-à-dire toute votre existence : il ne vous restera donc plus une minute pour être artiste. Aimez passionnément votre mission. Il n’en est pas de plus belle. Elle est beaucoup plus haute que le vulgaire ne le croit.

L’artiste donne un grand exemple.

Il adore son métier : sa plus précieuse récompense est la joie de bien faire. Actuellement, hélas ! on persuade aux ouvriers pour leur malheur de haïr leur travail et de le saboter. Le monde ne sera heureux que quand tous les hommes auront des âmes d’artistes, c’est-à-dire quand tous prendront plaisir à leur tâche.

L’art est encore une magnifique leçon de sincérité.

Le véritable artiste exprime toujours ce qu’il pense au risque de bousculer tous les préjugés établis.

Il enseigne ainsi la franchise à ses semblables.

Or, imagine-t-on quels merveilleux progrès seraient tout à coup réalisés si la véracité absolue régnait parmi les hommes !


De tels propos jettent sur le génie d’Auguste Rodin, une lumière plus vive que tous les commentaires de ses admirateurs. (Photo Libntfw 69 Fnac*’