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tique, magnifique et luxurieux, toute pauion. toute frénésie s’exaspère jusqu’au paroxysme. Il n’y a donc dans ces dessins, ni littérature, ni symbolisme. Auguste Rodin est un réaliste, ainsi que les Hellènes ou les Gothiques. Quand il amplifie, quand il outre un modelé de statue, c’est à seule fin d’accentuer le caractère de l’œuvre qui devra être contemplée en plein air.

Il n’est point question, dans ces croquis, d’interpréter, mais de cueillir la vie au vol. Le statuairedessinateur ne combine pas des groupes fantastiques, des rêves à la Redon. Ces danseurs désarticulés, ces femmes convulsées, alanguies, " damnées », exténuées, pâmées, les bras en oreillers, ne sont autre chose que de la vie captive et pétrie. Je dis pétrie, car ces dessins commentent et annoncent le marbre ou la pierre.

Doù vint à Rodin le goût de ces esquisses promptes ? Il y a une vingtaine d’années, il eut un modèle, miraculeux de grâce et de flexibilité, qui lui donnait les plus beaux mouvements, les plus soudains, les plus neufs. Il se mit à les dessiner mille et mille fois. Et il continua. Telle est l’origine des séries actuelles. Antérieurement, il avait réalisé des dessins d’après l’Antiquité ou la Renaissance, ou ces illustrations étonnantes pour l’exemplaire des Fleurs du Mal. Puis, se dégageant, se libérant des influences, rejetant l’érudition, il osa ses géniales simplifications, les vignettes du Jardin des Supplices.

Il passa les dernières années de sa vie à l’hôtel Biron dont il aimait la paix et la belle ordonnance, malade et comblé d’honneurs, grand officier de la Légion d’Honneur, chargé des plus hautes distinctions des pays étrangers car sa gloire brilla toujours d’un plus vif éclat hors de son pays, il ne fut pas de l’Institut malgré un geste in-extremia dont Gustave Cornick dénonça l’invraisemblance.

Rodin n’avait que faire des faveurs académiques. Le 16 novembre 1917 les journaux du soir publièrent la note suivante : » Le maître Rodin s’est éteint doucement, sans souffrances, ce matin à quatre heures dans son magnifique domaine de Meudon. Quelques parents et intimes étaient à son chevet.

« Depuis deux jours la maladie dont il souffrait avait fait de rapides progrès. Le docteur Chauvet en quittant le malade hier soir à onze heures, avait déclaré que tout espoir était perdu.

« La dépouille mortelle du maître est exposée dans l’un des salons de la villa ; le corps est revêtu de la robe de chambre de laine blanche qu’il affectionnait. Le visage calme est merveilleusement beau ; les mains jointes tiennent deux chrysanthèmes. Un bouquet de fleurs splendides décore simplement le coin du lit. » On lui fit des obsèques nationales. La presse de tous les pays alliés, neutres, et même ennemis, exalta le génie qui venait de s’éteindre, on ouit toutefois plusieurs notes discordantes dans ce concert de louanges. Les ennemis de Rodin ne désarmèrent pas. On vit éclater le scandale des faux Rodins, ou plutôt des Rodins illicites : un méchant libellé parut où le maître apparaissait amoindri, vu de l’office. Mais ne sont-elles pas négligeables ces petites attaques, alors qu’est ouvert à tous le musée Rodin, apportant, par les œuvres et par les collections rassemblées, le vivant témoignage de ce qu’est le génie de Rodin, montrant quelle Torche ardente il brandit pour éclairer la route, quelle place considérable un tel homme occupait dans l’univers.

La meilleure conclusion, maintenant, c’est à Rodin lui-même que nous allons demander de la formuler : Il a laissé, héritage spirituel, une profession de foi que les jeunes artistes devraient apprendre pai cœur. Ces pages furent dictées pan Rodin à Paul Gsell en 1911. pour être publiées après sa mort :


Jeunes gens qui voulez être officiants de la Beauté, peut-être vous plaira-t-il de trouver ici le résumé d’une longue expérience.

Aimez dévotement les maîtres qui vous précédèrent. Inclinez-vous devant Phidias et devant Michel-Ange. Admirez la divine sérénité de l’un, la farouche angoisse de l’autre. L’admiration est un vin généreux pour les nobles esprits.

Gardez-vous cependant d’imiter vos aînés. En respectant la tradition, sachez discerner ce qu’elle renferme d’éternellement fécond : l’amour de la Nature et la sincérité. Ce sont les deux fortes passions des génies. Tous ont adoré la Nature et jamais ils n’ont menti. Ainsi la tradition vous tend la clef grâce à laquelle vous vous évaderez de la routine. C’est la tradition elle-même qui vous recommande d’interroger sans cesse la Réalité et qui vous défend de vous soumettre aveuglément à aucun maître.

Que la Nature soit votre unique déesse. Ayez en elle une foi absolue. Soyez certains qu’elle n’est jamais laide et bornez votre ambition à lui être fidèles.