Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’en choisir un autre. L’ayant choisi, il le transfigure et le recrée, il lui confère une valeur universelle et humaine. Rembrandt, d’abord peintre des solennités médicales, des dissections académiques, s’évade d’une Hollande proprette, bourgeoise, rigoriste, anecdotique, amie de la musique de chambre, des meubles polis, des parloirs dallés, et rejoint la Bible, sa crasse lumineuse, sa bohème en guenilles, sa pouillerie fulgurante. Le ghetto d’Amsterdam était là, mais il fallait y pénétrer et s’en emparer, il fallait y faire vivre, sous la défroque de la juiverie portugaise, l’anxiété de l’Ancien Testament au moment où il enfante le Nouveau, il fallait y faire briller l’apocalypse de la lumière, un soleil luttant avec la nuit dans des caveaux prophétiques. Au milieu de ce monde à la fois séculaire et vivant, jalousement fermé et plein de nomades, Rembrandt se place hors de la Hollande, hors du temps. Même au ghetto, il pouvait être un peintre de mœurs, le chroniqueur d’un quartier : et c’est justement à ces proportions qu’il importe de ne pas le réduire. On voit bien que ce milieu d’élection n’eut d’intérêt pour lui que parce qu’il était spacieux pour ses songes et qu’il les favorisait. Ils y touchaient le sol, ils y prenaient figure. Le monde de Rembrandt s’y adapte, y trouve un accord qui l’exalte, mais il ne s’y limite pas. Il engendre des paysages, une lumière, une humanité qui sont la Hollande, mais surnaturelle.

Le cas Van Dyck mériterait une analyse particulière. Il touche à la philosophie du portrait, mais il intéresse directement notre critique. On peut se demander si ce prince de Galles de la peinture, pour lui conserver le titre que lui donne Fromentin, n’a pas, dans une large mesure, contribué à créer un milieu social, renversant ainsi les termes d’une proposition communément admise. Il habite une Angleterre encore brute et violente, encore agitée de révolutions, adonnée à des plaisirs d’instinct et conservant sous le vernis léger de la vie de cour les appétits de la merry England. Il en peint les héros et les héroïnes avec sa dis-