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Ainsi se dessinent, sur le fond obscur des races, divers portraits de l’homme, œuvres de l’homme même, des modes de vie qui sont déjà des paysages et des intérieurs et qui « forment » eux aussi l’espace, la matière, le temps. Les groupes nationaux tendent à devenir familles spirituelles. À ce titre, ils préfèrent certaines formes. Les divers états des styles ne se succèdent pas dans leur histoire avec la même rigueur. Certains peuples conservent dans l’état baroque la mesure et la stabilité classiques, certains autres mêlent l’accent baroque à la pureté de leur classicisme.

On est donc fondé à reconnaître que les écoles nationales ne sont pas seulement des cadres. Mais entre ces groupes, au-dessus d’eux, la vie des formes établit une sorte de communauté mouvante. Il existe une Europe romane, une Europe gothique, une Europe humaniste, une Europe romantique. Dans la préparation de ce que nous appelons le moyen âge, l’Occident collabore avec l’Orient. Dans le cours de l’histoire, il y a des périodes où les hommes pensent en même temps les mêmes formes. L’influence n’est alors que le moyen des affinités, et l’on peut dire qu’elle ne s’exerce pas en dehors de ces dernières. Pour comprendre comment se font et se défont ces unanimités instables, peut-être ne serait-il pas inutile de reprendre la vieille distinction saint-simonienne entre époques critiques et époques organiques, les unes étant caractérisées par la multiplicité contradictoire des expériences, les autres par l’unité et par la constance des résultats acquis. Mais il subsiste toujours des précocités et des retards dans toute époque organique, qui reste, en sous-œuvre, critique.

Ni les différences des groupes humains ni les contrastes des siècles ou des époques ne suffisent à nous expliquer les mouvements singuliers qui précipitent ou qui ralentissent la vie des formes. La complexité des facteurs est considérable. Elle peut s’exercer en sens contraire. De ces inégalités, l’étude des origines du style flamboyant français nous offre un curieux exemple.