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laire géométrique appartiennent en commun à toute l’humanité primitive et, quand ils reparaissent au début du haut Moyen Âge, quand ils recouvrent l’anthropomorphisme méditerranéen et le dénaturent, c’est bien moins le choc de deux races que la rencontre de deux états du temps ou, pour parler plus clairement, de deux états de l’homme. Dans des milieux retirés, les arts populaires maintiennent l’état ancien, le temps immobile, les vieux vocabulaires de la préhistoire, avec une unité qui excède les divisions ethnographiques et linguistiques et que colorent seulement les paysages de la vie historique. On peut appliquer la même critique, mais dans un autre sens, à l’interprétation de l’art gothique par le romantisme : complexes, énormes, ombreuses, les cathédrales passaient alors pour l’expression décisive d’une race qui ne les connut que tard et qui, toujours, les imita malaisément. On y voyait revivre le génie des forêts, un naturalisme confus, mêlé aux ardeurs de la foi. Ces idées ne sont pas encore complètement éteintes, chaque génération leur prête une vie éphémère, elles ont la périodicité des mythes collectifs qui font intervenir dans l’histoire une note de légende. L’observation des formes, telle que nous essayons de la conduire, détruit cette poétique d’emprunt, ce programme à rebours, et met en lumière une logique expérimentale qui leur inflige de toutes parts un rigoureux démenti.

L’homme n’est pas scellé dans une définition éternelle, il est ouvert aux échanges et aux accords. Les groupes qu’il constitue doivent moins à une fatalité biologique qu’à la liberté de l’adaptation réfléchie, à l’ascendant des personnalités fortes, au travail constant de la culture. Une nation est, elle aussi, une longue expérience. Elle ne cesse de se penser elle-même et de se construire. On peut la considérer comme une œuvre d’art. La culture n’est pas un réflexe, mais une prise de possession progressive et un renouvellement. Elle procède comme un peintre, par des traits, par des touches qui enrichissent l’image.