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tique, l’ordre économique, l’ordre social, l’ordre des arts. L’historien qui lit en succession lit aussi en largeur, en synchronisme, comme le musicien lit une partition d’orchestre. L’histoire n’est pas unilinéaire et purement successive, elle peut être considérée comme une superposition de présents largement étendus. Du fait que les divers modes de l’action sont contemporains, c’est-à-dire saisis au même instant, il ne s’ensuit pas qu’ils soient tous au même point de leur développement. À la même date, le politique, l’économique et l’artistique n’occupent pas la même position sur leur courbe respective, et la ligne qui les unit en un moment donné est le plus souvent très sinueuse. Théoriquement nous l’admettons sans peine ; dans la pratique, il nous arrive de céder à un besoin d’harmonie préétablie, de considérer la date comme un foyer ou comme un point de concentration. Ce n’est pas qu’elle ne puisse l’être, mais elle ne l’est pas par définition. L’histoire est généralement un conflit de précocités, d’actualités et de retards.

Chaque ordre de l’action obéit à son mouvement propre, déterminé par des exigences intérieures, ralenti ou accéléré par des contacts. Non seulement ces mouvements sont dissemblables entre eux, mais chacun d’eux n’est pas uniforme. L’histoire de l’art nous montre, juxtaposées dans le même moment, des survivances et des anticipations, des formes lentes, retardataires, contemporaines de formes hardies et rapides. Un monument daté avec certitude peut être antérieur ou postérieur à sa date, et c’est précisément la raison pour laquelle il importe de le dater d’abord. Le temps est tantôt à ondes courtes et tantôt à ondes longues, et la chronologie sert, non à prouver la constance et l’isochronie des mouvements, mais à mesurer la différence de longueur d’onde.

Nous nous rendons compte désormais de la manière dont se pose le problème de la forme dans le temps. Il est double. C’est d’abord un problème d’ordre interne : quelle est la position de