Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

LE MONDE DES FORMES

Les problèmes posés par l’interprétation de l’œuvre d’art se présentent sous l’aspect de contradictions presque obsédantes. L’œuvre d’art est une tentative vers l’unique, elle s’affirme comme un tout, comme un absolu, et, en même temps, elle appartient à un système de relations complexes. Elle résulte d’une activité indépendante, elle traduit une rêverie supérieure et libre, mais on voit aussi converger en elle les énergies des civilisations. Enfin (pour respecter provisoirement les termes d’une opposition tout apparente) elle est matière et elle est esprit, elle est forme et elle est contenu. Les hommes qui s’emploient à la définir la qualifient selon les besoins de leur nature et la particularité de leurs recherches. Celui qui la fait, lorsqu’il s’arrête à la considérer, se place sur un autre plan que celui qui la commente et, s’il se sert des mêmes termes, c’est dans un autre sens. Celui qui en jouit avec profondeur et qui, peut-être, est le plus délicat et le plus sage, la chérit pour elle-même : il croit l’atteindre, la posséder essentiellement — et il l’enveloppe du réseau de ses propres songes. Elle plonge dans la mobilité du temps, et elle appartient à l’éternité. Elle est particulière, locale, individuelle, et elle est un témoin universel. Mais elle domine ses diverses acceptions et, servant à illustrer l’histoire, l’homme et le monde même, elle est créatrice de l’homme, créatrice du monde, et elle installe dans l’histoire un ordre qui ne se réduit à rien d’autre.

Ainsi s’accumule autour de l’œuvre d’art la végétation luxuriante dont la décorent ses interprètes, parfois au point de nous la dérober tout entière. Et pourtant son caractère est