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préter les diverses périodes de ces cent années comme les divers âges de l’homme, enfermés entre les deux parenthèses de la naissance et de la mort, peut-être l’humanité prend-elle l’habitude de vivre par siècles. Cette fiction collective agit sur le travail de l’historien. Mais, si l’on accepte que le sens commun ait pu « réaliser » aux alentours de l’année 1900, par exemple, la notion de « fin de siècle », il est difficile d’admettre que la fin ou le début chronologique d’un siècle quelconque coïncide fatalement avec le début ou la fin d’une activité historique. Nos études ne sont pourtant pas exemptes de cette mystique « séculaire », et il suffit, pour s’en rendre compte, de consulter la table des matières d’un grand nombre d’ouvrages.

La conception que nous venons d’exposer a quelque chose de monumental, elle organise le temps comme une architecture, elle le répartit, comme les masses d’un édifice sur un plan donné, dans des milieux chronologiques stables. C’est aussi le temps des musées, distribué en salles et en vitrines. Cette conception tend à modeler la vie historique d’après des cadres définis et même à donner une valeur active à ces derniers. Mais, au fond de nous-mêmes, nous n’ignorons pas que le temps est devenir, et nous corrigeons avec plus ou moins de bonheur notre conception monumentale par celle d’un temps fluide et d’une durée plastique. Il nous faut bien reconnaître qu’une génération est un complexe où se juxtaposent tous les âges de l’homme, qu’un siècle est plus ou moins long, que les périodes passent les unes dans les autres. L’élément fondamental de la chronologie, la date, permet précisément de réduire ces excès de mensuration. C’est la sécurité de l’historien.

Ce n’est pas que la mystique qui s’exerce sur la notion de siècle ne s’exerce aussi sur celle de date, considérée comme pôle attractif, comme force en soi. Mais une même date étreint l’extrême diversité des lieux, l’extrême diversité de l’action et, dans le même lieu, des actions très diverses encore, l’ordre poli-