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chose d’analogue aux rapports des objets dans l’espace et sous la lumière, à leur dimension relative, à la projection de leurs ombres. Les repères du temps n’ont pas une pure valeur numérique. Ce ne sont pas les divisions du mètre, qui ponctuent les vides d’un espace indifférent. Le jour, le mois, l’année ont un commencement et une fin variables, mais réels. Ils nous offrent autant de témoignages de l’authenticité de nos mesures. L’historien d’un monde toujours baigné d’une égale lumière, sans jours, sans nuits, sans mois et sans saisons, ne pourrait que décrire un présent plus ou moins complet. C’est du cadre même de notre vie que nous vient la mesure du temps, et la technique de l’histoire calque, à cet égard, l’organisation naturelle.

C’est la raison pour laquelle, étant soumis à un ordre si nécessaire et confirmé de toutes parts, nous sommes sans doute excusables de commettre quelques graves confusions entre la chronologie et la vie, entre le repère et le fait, entre la mesure et l’action. Nous répugnons extrêmement à renoncer à une conception isochrone du temps, car nous conférons à ces mesures égales, non seulement une valeur métrique qui est hors de discussion, mais une sorte d’autorité organique. De mesures elles deviennent cadres, et de cadres elles deviennent corps. Nous personnifions. Rien de plus curieux à cet égard que la notion de siècle. Nous avons peine à ne pas concevoir un siècle comme un être vivant, à lui refuser une ressemblance avec l’homme même. Chacun d’eux se montre à nous avec sa couleur, sa physionomie, et projette l’ombre d’une certaine silhouette. Peut-être n’est-il pas absolument illégitime de configurer ces vastes paysages du temps. Une conséquence remarquable de cet organicisme consiste à faire commencer chaque siècle par une espèce d’enfance qui se continue par la jeunesse, elle-même remplacée par l’âge mûr, puis par la décrépitude. Peut-être, par un singulier effet de la conscience historique, cette forme finit-elle par agir d’une façon concrète. À force de la manier, de lui donner corps et d’inter-