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forme, le monde créé par l’artiste agit sur lui, en lui, et il agit sur d’autres. La genèse crée le dieu. Une conception statique et machinale de la technique excluant les métamorphoses nous mènerait à confondre école et famille : mais dans la même école, sous l’enseignement des mêmes procédés, il y a différence de vocation formelle, des formes inédites ou renouvelées travaillent péniblement sur elles-mêmes, l’action tend à naître et à se développer. Alors on voit se reconnaître et s’appeler les hommes de même trempe, l’amitié humaine peut intervenir dans ces relations et les favoriser, mais le jeu des affinités réceptives et des affinités électives dans le monde des formes s’exerce dans une autre région que celle de la sympathie, qui peut lui être indifféremment propice ou adverse. Ces affinités n’ont pas le moment pour cadre et pour limite. Elles se développent avec ampleur dans le temps. Chaque homme est d’abord le contemporain de lui-même et de sa génération, mais il est aussi le contemporain du groupe spirituel dont il fait partie. Plus encore l’artiste, parce que ces ancêtres et ces amis lui sont, non pas souvenir, mais présence. Ils sont debout devant lui, aussi vivants que jamais. Ainsi s’explique particulièrement le rôle des musées au xixe siècle : ils ont aidé les familles spirituelles à se définir et à se lier, par delà les temps, par delà les lieux. Même dans les temps et dans les pays où les témoignages et les exemples sont dispersés, même lorsque l’état des styles impose une fermeté canonique, même dans les milieux sociaux aux exigences les plus rigoureuses, la variété des familles spirituelles s’exerce avec force. Et l’époque qui se détourne le plus violemment du passé est construite par des hommes qui ont eu des ancêtres. Des temps et des milieux qui ne sont pas ceux de l’histoire s’installent dans l’histoire même, et l’on voit s’y propager des races qui ne sont pas celles de l’anthropologie. Elles ont ou n’ont pas conscience d’elles-mêmes, mais elles existent. Pour être, elles n’ont pas besoin de se connaître. Entre des maîtres