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repos ; elles créent dans l’animal homme un homme nouveau, multiple et uni. Elles pèsent de tout un poids qui n’est pas vain, puisque c’est celui des matières de l’art ; elles installent dans la pensée une étendue qui n’est pas quelconque, puisque c’est un espace consenti ou voulu ; elles édictent une dialectique qui n’est pas un pur jeu, puisque la technique est activité créatrice. Aux carrefours de la psychologie et de la physiologie, elles se dressent avec l’autorité de la silhouette, de la masse et de l’intonation. Si nous cessons un seul instant de les considérer comme des forces concrètes et actives, puissamment engagées dans les choses de la matière et de l’espace, nous ne saisissons plus dans l’esprit de l’artiste que des larves d’images et de souvenirs ou les gestes ébauchés de l’instinct.

Des remarques qui précèdent on peut tirer certaines conséquences qui concernent les unes la vie temporelle des artistes, les autres les groupes ou les familles d’esprits. L’activité des hommes supérieurs conservera toujours un mystérieux prestige, un élément secret, et toujours on en cherchera la clef dans le détail de leur existence. L’événement et l’anecdote nous seront toujours matière documentaire et matière romanesque. Nous en composerons nos portraits héroïques et nos fables de vérité et, même sur un fond d’ombre et de poussière, nous ne cesserons pas de faire miroiter le trésor des biographies. Il est vrai que chaque vie humaine comporte son roman, c’est-à-dire une succession et une combinaison d’aventures : mais ces aventures ne sont pas en nombre indéfini, et l’on pourrait en dresser un catalogue comme celui des situations dramatiques : ce qui change beaucoup plus, c’est le ton même de ces aventures selon ce que les hommes en font. Il se passe pour chacun de nous quelque chose d’analogue à ce qui se passe pour le roman écrit, dont la pauvreté est fondamentale et qui répète, depuis les débuts du genre et de la vie en société, un très petit nombre d’histoires. Mais sur cette mince armature, quelle richesse de métamorphoses,