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vie des formes avec les autres activités de l’esprit ne sont pas constants et ne sauraient être définis une fois pour toutes. De même que nous devons tenir compte des interférences techniques pour comprendre le jeu des formes dans la matière, de même nous devons être attentifs à la diversité de structure et d’intonation dans l’aménagement des esprits. Certains d’entre eux sont dominés par la mémoire : elle réduit le champ des métamorphoses chez les pasticheurs, sans affaiblir leur intensité chez les virtuoses. Le caractère impérieux et soudain de l’image s’impose brusquement à la vie des formes chez les visionnaires. Il existe des intellectuels de la forme qui s’efforcent de la penser comme pensée et de régler sa vie sur la vie des idées. Et si nous faisions intervenir toute la gamme des tempéraments, nous n’aurions pas de peine à reconnaître que la vie des formes s’en trouve plus ou moins affectée, si bien qu’à un certain moment de notre analyse, nous serons toujours tentés de recourir à une sorte de graphologie.

Mais à cette diversité des rapports entre l’homme en l’artiste et l’artiste même s’en ajoute une autre qui est exclusivement de l’ordre des formes. Nous avons insisté plus haut sur ce que nous appelons la vocation formelle des matières de l’art, entendant par là que ces matières impliquent une certaine destinée technique. À cette vocation des matières, à ce destin technique correspond une vocation des esprits. Nous l’avons reconnu, la vie des formes n’est pas la même dans l’espace plat du mosaïste et dans l’espace construit d’Alberti ; dans l’espace-limite du sculpteur roman et dans l’espace-milieu du Bernin ; elle n’est pas la même dans les matières de la peinture et dans celles de la sculpture, dans la pleine pâte, dans les glacis, dans la pierre taillée, dans le bronze fondu ; elle n’est pas la même dans la gravure sur bois et dans l’aquatinte. Or, à un certain ordre des formes correspond un certain ordre des esprits. Il ne nous appartient pas d’expliquer les raisons de cette convenance, mais il