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sur la solidité des masses ou sur la justesse des tons. La mémoire met également à la disposition de chacun de nous un riche répertoire. Et, de même que le rêve éveillé enfante les œuvres des visionnaires, l’éducation de la mémoire élabore chez certains artistes une forme intérieure qui n’est ni l’image proprement dite ni le pur souvenir et qui leur permet d’échapper au despotisme de l’objet. Mais ce souvenir ainsi « formé » a déjà des propriétés particulières ; une sorte de mémoire inversée, faite d’oublis calculés, y a travaillé. Oublis calculés à quelles fins et selon quelles mesures ? Nous entrons dans un autre domaine que celui de la mémoire et de l’imagination. La vie des formes dans l’esprit, nous le pressentons, n’est pas calquée sur la vie des images et des souvenirs.

Images et souvenirs se suffisent à eux-mêmes, se composent des arts inconnus qui sont tout en esprit. Ils n’ont pas besoin de sortir de ce crépuscule pour être complets, il est favorable à leur éclat et à leur durée. Art brusque des images, qui a toute l’inconsistance de la liberté ; art insidieux des souvenirs, qui dessine avec lenteur des fugues sur le temps. La forme exige de quitter ce domaine : son extériorité, nous l’avons vu, est son principe interne, et sa vie en esprit est une préparation à la vie dans l’espace. Avant même de se séparer de la pensée et d’entrer dans l’étendue, la matière et la technique, elle est étendue, matière et technique. Elle n’est jamais quelconque. De même que chaque matière a sa vocation formelle, chaque forme a sa vocation matérielle, déjà esquissée dans la vie intérieure. Elle y est encore impure, c’est-à-dire instable, et, tant qu’elle n’est pas née, c’est-à-dire extérieure, elle ne cesse de se mouvoir, dans le réseau très ténu des repentirs entre lesquels oscillent ses expériences. C’est là ce qui la distingue des images du rêve, rigoureuses, totales. Elle est analogue à ces dessins qui semblent chercher sous nos yeux leur ligne et leur aplomb et dont l’immobilité multiple nous paraît mouvement. Mais si ces aspects n’obéis-