Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/72

Cette page a été validée par deux contributeurs.

y font, comment elles s’y comportent, d’où elles viennent, par quels états elles passent et quelle est enfin leur agitation ou leur activité avant de prendre corps, s’il est vrai qu’étant formes, même dans l’esprit, elles puissent n’avoir pas de « corps », aspect essentiel du problème. Siègent-elles comme des déesses mères dans une région reculée d’où elles viennent à nous lorsque nous les évoquons ? Ou bien progressent-elles lentement, nées d’un germe obscur, comme les animaux ? Doit-on penser que, dans les espaces encore non mesurés et non décrits de la vie spirituelle, elles s’enrichissent de forces inconnues que nous ne saurions nommer et qui leur conservent à jamais le prestige de l’inédit ? Ainsi présentées, ces questions risquent de rester sans réponse, du moins sans réponse satisfaisante, car elles supposent et respectent un antagonisme auquel nous nous sommes déjà heurté et que nous avons essayé de résoudre. Nous pensons qu’il n’y a pas antagonisme entre esprit et forme et que le monde des formes dans l’esprit est identique en son principe au monde des formes dans l’espace et la matière : il n’y a entre eux qu’une différence de plan ou, si l’on veut, une différence de perspective.

La conscience humaine tend toujours à un langage et même à un style. Prendre conscience, c’est prendre forme. Même dans les étages inférieurs à la zone de la définition et de la clarté, il existe encore des formes, des mesures, des rapports. Le propre de l’esprit, c’est de se décrire constamment lui-même. C’est un dessin qui se fait et se défait, et son activité, en ce sens, est une activité artistique. Comme l’artiste, il travaille sur la nature, avec les données que lui jette du dedans la vie physique, et il ne cesse de les élaborer pour en faire sa matière propre, pour en faire de l’esprit, pour les former. Ce travail est si rude que parfois il s’en lasse, il éprouve le besoin de se détendre, de se déformer, d’accueillir passivement ce qui lui vient des profondeurs océaniques de la vie. Il croit se rajeunir en appelant l’instinct brut, en s’ouvrant aux impressions fugitives, aux ondes sans limite