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Nous emprunterons à la langue des peintres le terme qui le désigne le mieux et qui fait sentir d’un seul coup l’énergie de l’accord, — la touche. Il nous semble qu’il peut s’étendre aux arts graphiques et à la sculpture aussi. La touche est moment, — celui où l’outil éveille la forme dans la matière. Elle est permanence, puisque c’est par elle que la forme est construite et durable. Il arrive qu’elle dissimule son travail, qu’elle se recouvre, qu’elle se fige, mais nous devons et nous pouvons toujours la ressaisir sous la plus dure continuité. Alors l’œuvre d’art reconquiert sa précieuse qualité vivante : sans doute elle est un total, bien lié dans toutes ses parties, solide, à jamais séparé ; sans doute, selon le mot de Whistler, elle ne « bourdonne » pas, — mais elle porte en elle les traces indestructibles (même cachées) d’une vie chaleureuse. La touche est le véritable contact entre l’inertie et l’action. Quand elle est partout égale et presque invisible, comme celle des enlumineurs avant le xve siècle, quand elle cherche à donner, par une juxtaposition minutieuse ou par une fusion, non une série de notes vibrantes, mais, si l’on peut dire, une « couche » une, nue et lisse, elle semble se détruire elle-même, mais elle est encore définition de la forme. Nous l’avons dit, une valeur, un ton ne dépendent pas uniquement des propriétés et des rapports des éléments qui les composent, mais de la manière dont ils sont posés, c’est-à-dire « touchés ». Par là l’œuvre peinte se distingue de la porte de grange ou de la carrosserie. La touche est structure. Elle superpose à celle de l’être ou de l’objet la sienne propre, sa forme, qui n’est pas seulement valeur et couleur, mais (même dans des proportions infimes) poids, densité, mouvement. Nous pouvons l’interpréter exactement de la même manière en sculpture. Nous nous sommes naguère appliqué, en fonction d’une certaine analyse de l’espace, à distinguer deux sortes de procédés d’exécution : celui qui, partant de l’extérieur, cherche la forme à l’intérieur du bloc ; celui qui, partant de l’armature intérieure et la nourrissant peu à peu, amène la forme à sa plé-